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samedi 24 avril 2010

« Le Pauvre Christ de Bomba », de Mongo Béti


Je continue d'alterner classiques, nouveautés et « découvertes ». Le Pauvre Christ de Bomba (1956), de l'écrivain camerounais Mongo Béti, est clairement à classer dans la première catégorie. C'est un pilier de la littérature africaine. Paru à la même époque que L'Enfant noir (1953), de Camara Laye, c'est-à-dire dans la décennie précédant les indépendances, ce roman décrit lui aussi la présence française en Afrique... mais avec un regard beaucoup plus acerbe. Les deux écrivains ne manqueront d'ailleurs pas d'afficher leurs désaccords sur ce point.

Dans Le Pauvre Christ de Bomba, Mongo Béti entre dans le vif du sujet en s'attachant à suivre un missionnaire en tournée dans l'est du Cameroun. Provençal régissant d'une main de fer, depuis vingt ans, la mission de Bomba, le Révérend Père Supérieur Drumont – que tout le monde appelle simplement « RPS » – entreprend de rendre visite aux habitants du pays des Tala ; « ce royaume de Satan, ce vrai Sodome et Gomorrhe », dixit Denis, le boy-enfant de choeur qui l'accompagne et qui narre par le détail les péripéties de cette tournée. Il faut dire que le RPS, pour punir ces croyants aux moeurs païennes – avec, en tête, la polygamie –, ne les a pas « honorés » de sa présence trois années durant...

Le voilà donc qui, flanqué de Denis et de son cuisinier Zacharie, prend la route, à vélo, abandonnant pour un temps la mission et la « sixa » ou vivent et travaillent les femmes chrétiennes avant leur mariage. Le trio ira de déconvenue en déconvenue, le doute assaillera bientôt le RPS devant le peu de foi dont témoignent ses « fidèles ». Quant à Denis, adolescent fasciné par l'aura de sainteté qui, à ses yeux, émane du RPS, il découvrira des plaisirs qu'il n'est pas bon de confesser...

Ce qui frappe d'abord dans ce roman et le rend si captivant, c'est la force du personnage principal. Le RPS Drumont est un véritable héros littéraire, haut en couleurs, mais surtout en nuances... Mongo Béti nous prévient d'ailleurs dès le début, avec un certain cynisme : « De mémoire d'Africain, il n'y a jamais eu de Révérend Père Supérieur Drumont ; il n'y en aura probablement jamais, autant du moins que je connaisse mon Afrique natale : ce serait trop beau. » Car, on le découvre petit à petit, le RPS Drumont, que la foi rend parfois aveugle, n'en est pas moins une représentation idéale de l'humanisme occidental. Même quand il emploie la manière forte, il croit profondément oeuvrer pour le bien. Sévère et naïf, il refuse cependant que la construction d'une nouvelle route, en asservissant les indigènes pour leur plus grand malheur, contribue à les rapprocher de Dieu...

Autre personnage clé du roman, le cuisinier, Zacharie, est à mi-chemin entre l'ange gardien et la mauvaise conscience du RPS. Chrétien peu convaincu, incorrigible rossard, il s'enrichit – et séduit – sur le dos du RPS tout en bénéficiant de son indulgence. Le religieux ne semble d'ailleurs le conserver auprès de lui que pour son franc-parler : Zacharie ne prend pas de pincettes pour critiquer l'action du RPS, lequel, feignant de l'ignorer, en tire en fait de nombreuses instructions.

La tournée du RPS se solde par un cuisant échec, qui dépasse tout ce qu'il avait pu imaginer. Et sous la plume de Mongo Béti, cet échec est, plus que celui de l'évangélisation – aujourd'hui, l'Afrique subsaharienne compte 57 % de chrétiens –, celui d'un colonialisme à bout de souffle, mélange de fausses bonnes intentions et d'asservissement, mission prétendument civilisatrice reposant sur le couple infernal de la carotte et du bâton. L'écrivain semble même pressentir les indépendances quand il met en scène un RPS abattu, désabusé, évoquant son possible retour en France après tant d'années passées à essayer de bâtir quelque chose en Afrique. Quelque chose dont, hélas pour lui, les autochtones ne veulent pas et qu'ils font mine d'accepter, sans y adhérer vraiment pour beaucoup d'entre eux, sachant que cela ne durera pas.

Le Pauvre Christ de Bomba
de Mongo Béti
Laffont, 1956
réédition Présence africaine, 349 p., 8,90 euros

14 commentaires:

  1. Il a été réédité récemment ? Je me souviens avoir voulu le lire il y a quelques années et ne pas l'avoir trouvé.

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  2. A ma connaissance, la dernière réédition est celle de Présence africaine, en 1976. C'est en tout cas celle que j'ai lue et que j'ai pu croiser dans les rayons de différentes librairies.

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  3. Prix Drumont 2010, la polémique:
    http://fr.metapedia.org/wiki/Prix_édouard_drumont

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  4. @ Anonyme :
    Je ne crois qu'on parle du même Drumont...

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  5. les écrivains africains représentent la mémoire du continent tout entier car par leurs plumes ont se ressource de notre passé pour mieux percevoir l'avenir.
    mykatya@yahoo.fr
    Cathy depuis le Cameroun

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  6. Salut! J'ai une réédition de 2003. Et pour répondre à Cathy depuis le Cameroun, je suis d'accord avec ce qu'elle dit mais dans les faits quel a été l'avenir de l'Afrique? De cet avenir qui est notre présent qu'a-t-on perçu? Les dictatures interminables, le néocolonialisme, le népotisme, etc. Mongo Béti était un visionnaire et cette œuvre prédit la vie de l'Africain après la colonisation. Merci au gérant de ce site pour son travail. Aubrin au Gabon.

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  7. Les oeuvres de Mongo Beti sont plus que jamais d'actualité car elles montrent une Afrique incapable de faire bloc, une Afrique malade de ses dirigeants; une Afrique constamment sujette à l'omniprésence, à la domination et à l'interventionisme de l'occident.
    josiane du Cameroun

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  8. dans cette oeuvre,il nous montre combien de fois l'Africain est attaché à ses traditions.mais il nous montre également combien de fois l'Africain est faible parce qu'il se laisse coloniser par les Européens.Ce qui est aussi frappant c'est la détermination du RPS Drumont qui va finalement se désister.

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  9. après avoir écouté et analysé les traditions anciennes de mon pays(coté religion), je ne me trompe pas en affirmant que tradition africaine(époque pre-coloniale et coloniale)rime avec barbarie.Alors,malgré les methodes des colons ou la façade des missionnaires,pour moi la faiblesse des africains face à ça fut la clé de l'effacement en grande partie de ces traditions religieuses barbares.Mongo Beti a critiquer la mision catholique française, moi heute je la remercie.Désolé.thierry du Cameroun

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    1. si on part du 'principe' que dieu est au fond de tout un chacun, où était donc l'intérêt des missions catholiques pour nous? nos aïeux avaient bien une civilisation, à leur façon, toute les civilisations ne se ressemblant pas. on aurait pu évoluer à notre façon,comme on le faisait déjà depuis l'origine, mais cela a été court-circuité par l'arrivée du colonialisme. pourtant on continue d'évoluer, malgré une forte influence occidentale. à nous maintenant, acteurs actuels de l'histoire de l’Afrique, d'utiliser à bon escient cet avantage que nous donne le colonialisme: la connaissance de leur culture en plus de la notre. Donc, bien que les "chaines" soient fermement serrées, à nous de fournir l'effort nécessaire pour les briser. aujourd'hui, avec le recul, quand je regarde un prêtre, je vois plus un psychologue pour gens démunis, celui là qui leur apporte un but dans leur vies, qu'un "représentant" de notre seigneur dieu. Mais seulement, cela marcherait encore quand la personne aidé a vraiment besoin d'aide et veux être aidée..! si on veut parler en "droits de l'homme". penses-tu vraiment,Thierry,que la mission catholique a demandé l'avis de tes grands parents avant de leur prendre leurs possessions sous telle ou telle autre raison? penses-tu vraiment que tes aïeux voulaient s'en séparer?... N.N.J.J.

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  10. non l'ami tu vas là dans la logique occidentale qui a sans cèsse qualifié notre culture et notre civilisation de barbare, de prélogique; ce qui n'est pa vrais car toutes les cultures se valent et elles ont un sens pour le peuple qui les font vivre et qui les vit. penser comme toi c'est accepter le concept de "mission civilisatrice"

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  11. Mongo Beti était un écrivain qui a su coucher sur du papier l'histoire de L'Afrique mais plus encore a mis à nu l'entreprise coloniale. Ses oeuvre contribuent avec l'aide des grands écrivains africains à une prise de conscience et je pense que le processus de décolonisation est en marche certes d'une manière encore maladroite et très embryonnaire mais tout de même présente. Je me rêve que d'une Afrique au sommet de son éclat

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  12. SLT. LES MALHEURS DES FEMMES DE LA SIXA VIENNET T-IL DE ZACHARIE?

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    1. Les malheurs des filles ne viennent pas de Zacharie mais de la négligence du prêtre, son seul souci était ses travaux de construction exercés par ses filles, par cette négligence le catéchiste profite de les prostituer. Le gouverneur Marchand voulait faire contrôler cette institution par l'inspection de travail. Il y a des missions qui regroupaient jusqu'à 300 pensionnaires de tout âge….

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